23.La clé: deux formes, un seul sens ?

10/11/06 Comment se fait il qu'il y a deux façons d'ecrire le mot : clé ou clef?

 

 

Les dictionnaires n’admettent pas facilement, dans l’entrée d’un article, d’aligner deux graphies séparées par un ou, ce qui laisse le lecteur dans l’incertitude : il attendait une norme, et on lui livre un double usage. -

 

 

Comment choisir ? Que faire de cet F final ?  

Nos premiers dictionnaires, au 17e siècle, sont catégoriques : l’F s’écrit, mais ne se prononce pas ; « même devant une voyelle », précisait l’Académie au siècle suivant, et pour clé elle ajouta (1835) : « …et plusieurs l'écrivent de cette façon » (donc sans  F).

Donc, depuis  deux siècles,  le mot a une seule prononciation, mais dans l’usage écrit deux formes?Pourquoi ?

 

Quand la norme actuelle ne répond pas, il faut interroger l’histoire : questionnons le moyen français, l’ancien français… 

Des consonnes finales, prononcées en a.fr., mais devenues muettes en m.fr., sauf en liaison, nous n’en manquons pas : le C de banc, le D de pied,  le P de champ, le T de  toit…  Mais l’F  en fin de mot ? bref, sportif, soif, neuf…  ce n’est que précédé d’une consonne qu’il peut devenir muet (nerf).

Notre clef serait-elle la seule à garder dans l’écrit cet F,  muet depuis des siècles ?

Il y a pourtant deux cas proches,  mais au pluriel seulement. : les bœufs et les œufs.

Ce qui nous dicte une réponse.  Dans ces deux noms, très anciens (et très fréquents dans la civilisation rurale de l’a.fr.), la consonne F, finale au singulier, devient muette devant l’S du pluriel ; donc dans la prononciation du m.fr. et du fr. moderne : les bœufs, les œufs avec un F muet,  conservé dans l’écriture par symétrie avec le singulier.

Et, hypothèse toute naturelle : le m.fr. prononçait la clef, les clés ; le fr. moderne, celui dont les grammairiens du 17e siècle entreprennent la description, ne prononce l’S final (du pluriel des noms) qu’en liaison ; il est muet, mais on va le conserver dans la graphie, comme tous nos S du pluriel, les pieds, champs, bœufs, œuf…et les clefs.

 

 

A part un petit nombre de cas (les exceptions des mots en –al, -ail, … etc.), nos noms forment leurs pluriels par l’addition d’un –s, qui peut se prononcer en liaison.  Au début du fr. mod/, c’était bien plus compliqué : noms et adjectifs se terminant par –NT (enfant, charmant, accident, prudent…) s’écrivaient au pluriel sans leur T : des enfans prudens, etc.   

C’est la 6e édition du dictionnaire académique, qui en 1835 aligna ces milliers de pluriels sur leurs singuliers: on écrivit désormais: "des enfants prudents". 

Ce que l’histoire des mots nous apprend, c’est donc que la forme clef est l'héritage d’un singulier de l’a.fr.,  où l’F final était encore prononcé, alors que la forme clé se justifie par le pluriel clés de l’a.fr.

 

Historiquement, le nom de ce petit outil a donc connu deux exceptions :

a)       comme pour les bœufs et les œufs, l’F du pluriel, quoique devenu muet en m.fr., est conservé dans l’orthographe.

b)       contrairement au bœuf et à l’œuf, la clef s’écrit parfois clé, pluriel clés, ce que l’Académie constate en 1835 (« plusieurs l'écrivent de cette façon ».), sans toutefois l’adopter. 

Dans sa 9e édition (en cours depuis 1990), l’entrée donne les deux formes : « CLEF (se prononce clé) ou CLÉ » avec la note suivante : « L'orthographe étymologique et ancienne, clef, et l'orthographe moderne, clé, s'emploient toutes deux selon des critères qui ne sont pas objectivement définissables ».

Dans le corps de l’article, tous les exemples ont les formes clef et  clefs.     

 

Les dictionnaires récents donnent les deux orthographes comme équivalentes, mais adoptent la graphie clé dans tous les exemples  (sauf citations).